L’omnibus sur les produits chimiques : vers une déréglementation préoccupante ? Lecture : 12 min
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L’omnibus sur les produits chimiques : vers une déréglementation préoccupante ?

Avec son omnibus sur les produits chimiques, la Commission européenne propose de simplifier l’encadrement des substances chimiques. Officiellement, pour gagner en compétitivité. Officieusement ? Cela ressemble fort à une déréglementation déguisée, qui marque un retour en arrière sur les protections environnementales et sanitaires. On vous explique ce que cache cette réforme, pourquoi inquiète-t-elle les ONG, les scientifiques et certains États membres, et en quoi pourrait-elle bien devenir le cheval de Troie d’un démantèlement discret des avancées du Pacte vert européen ? Rien que ça.

Que contient ce fameux omnibus sur les produits chimiques ?

Le terme « omnibus » est ici un fourre-tout législatif. Concrètement, il s’agit d’un paquet de mesures destinées à alléger les obligations pesant sur l’industrie chimique. Le but affiché ? Relancer la compétitivité du secteur, en berne face à ses concurrents américains ou chinois. À première vue, c’est légitime. Sauf que…

Parmi les 140 propositions contenues dans ce projet, certaines modifient profondément les réglementations actuelles sur les produits chimiques (notamment REACH et CLP). Selon l’ONG Générations Futures, plusieurs de ces mesures pourraient avoir pour effet direct de ralentir, voire d’entraver, l’interdiction ou la substitution de substances dangereuses, au nom de « la charge administrative ». Traduction : moins de paperasse, plus de risques ?

Une simplification réglementaire qui sent la dilution des exigences

La promesse d’un allégement réglementaire cache en réalité une dilution des exigences. Le projet prévoit, par exemple, de restreindre l’obligation d’évaluer les substances préoccupantes à un seul État membre (au lieu de plusieurs aujourd’hui). Et si ce pays n’a pas les moyens humains ou financiers de mener l’analyse ? Eh bien, la substance reste en circulation. Un peu comme si on fermait les yeux en espérant que tout ira bien.

Autre mesure phare : la possibilité de prolonger les autorisations temporaires de substances interdites « pour raisons économiques ». On marche clairement sur la tête : au lieu de protéger la santé, on protège les marges.

Les propositions clé de l’omnibus sur les produits chimiques

Les propositions de l'omnibus sur les produits chimiques font partie d’un paquet plus vaste (Chemicals Industry Package) visant à renforcer la compétitivité, la souveraineté stratégique, la décarbonation et la transition circulaire du secteur chimique européen. Elle intervient avant la révision complète du règlement REACH, prévue au 4ᵉ trimestre 2025.

Report des dates d’application et périodes transitoires

Retarder les échéances pour l’application des nouveaux formats d’étiquette, exigences publicitaires, vente à distance, délais de mise à jour (6 mois), étiquetage des pompes à carburant.

Objectifs : moins de stress opérationnel, plus de temps pour adapter les systèmes.

Allègement des règles de mise en forme des étiquettes

Suppression des contraintes sur la taille minimale des caractères, interlignage, couleurs de fond, tout en conservant l’exigence de lisibilité, avec appui sur les lignes directrices de l’ECHA.

Mise à jour de l’étiquette basée sur un contact numérique

Introduction d’un contact numérique obligatoire (email/site web) remplaçant l’obligation d’adresse et numéro de téléphone classique.

Instauration d’une obligation claire de prudence pour les publicités

Les pubs de substances dangereuses (Annexe II, partie 2) devront inclure la mention : « Always read the label and product information before use. »

Processus accéléré pour les ingrédients cosmétiques

Ajout d’un nouvel article 14a au règlement cosmétique pour accélérer l’intégration de nouveaux colorants, conservateurs et filtres UV.

Mécanisme clair d’exemption pour substances CMR (cosmétiques)

Article 15 révisé pour établir un mécanisme transparent de dérogation à l’usage de substances cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction.

Dérogations pour la défense

Autorisation accordée aux États membres d’exempter plus facilement certaines substances réglementées (REACH, CLP, BPR, POP), sans forcément devoir démontrer un “cas spécifique”, pour répondre aux impératifs de défense.

Gains économiques estimés & objectifs

Suppression des étiquettes complexes et label repensé doit générer au moins 363 M€ d’économies annuelles pour l’industrie chimique européenne.

Ces propositions doivent permettre d'alléger les contraintes réglementaires tout en maintenant le niveau de sécurité :

  • ✅ Plus de temps
  • ✅ Étiquettes et pubs plus souples
  • ✅ Dérogations facilités pragmatiques, notamment pour la défense
  • ✅ Meilleure adaptabilité pour les cosmétiques
  • 💶 Économies importantes attendues

Un pas de côté dangereux pour le Pacte vert

Ce projet va à rebours des ambitions du Pacte vert européen, qui promettait en 2020 une "Europe sans pollution" et une stratégie « zéro pollution » ambitieuse. La Commission s’était engagée à restreindre l’usage des PFAS, des perturbateurs endocriniens ou encore des substances CMR (cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques). Or, l’omnibus sur les produits chimiques menace directement ces objectifs.

Selon le site vie-publique.fr, plusieurs ONG craignent que cette réforme marque le coup d’arrêt des ambitions environnementales de l’UE, au nom d’une compétitivité de court terme. La logique est simple : on met en pause les réformes écologiques pour faire plaisir à l’industrie et tant pis pour la santé publique.

Qui s’alarme ?

Les réactions n’ont pas tardé. De nombreuses ONG appellent à retirer ce texte jugé incompatible avec les engagements climatiques et sanitaires de l’Union européenne.

La crise énergétique et l’inflation ont fragilisé l’industrie chimique, mais cela ne peut justifier une telle marche arrière.

Les citoyens, grands oubliés de l’omnibus ?

La santé des Européens est-elle devenue une variable d’ajustement ? C’est ce que redoutent de nombreux observateurs. En réduisant les capacités d’évaluation et en allégeant les obligations de transparence pour les entreprises, le texte réduit aussi le pouvoir d’information des citoyens.

Ce que montre l’omnibus, c’est qu’avant même d’acheter en conscience, il faut déjà pouvoir compter sur des lois qui protègent… ce qui pourrait devenir, visiblement, optionnel.

Un risque aussi pour la planète

Ce projet n’impacte pas seulement la santé humaine. En repoussant les obligations de substitution des substances dangereuses, l’omnibus sur les produits toxiques prolonge aussi l’utilisation de composants toxiques pour les sols, les cours d’eau, la biodiversité et donc les écosystèmes entiers.

À l’heure où l’on parle de préparer nos jardins à la sécheresse, de réduire notre exposition aux microplastiques ou de viser la neutralité carbone d’ici 2050, l’Europe ne peut pas se permettre de légiférer ainsi.

Un enjeu de société et de démocratie

Le plus inquiétant dans cette affaire, c’est peut-être la méthode. Le texte est présenté comme technique, administratif, presque banal. Mais en réalité, il dessine une Europe qui cède à la pression industrielle sans consulter pleinement les citoyens, ni les experts indépendants.

La réforme est complexe, peu médiatisée, et avance sous les radars du grand public. Et c’est précisément ce qui la rend dangereuse. Comme l’écrit Novethic, l’omnibus sur les produits toxiques pourrait bien être le symbole d’un glissement silencieux vers une politique environnementale au rabais. Et franchement, on a connu mieux comme storytelling européen.

Ce qu’on peut encore faire

Ce n’est pas (encore) une fatalité. Le projet doit être discuté au Parlement européen. La société civile, les associations, les scientifiques et les citoyens peuvent se mobiliser pour faire pression. Il est encore temps de réclamer un vrai débat, une transparence accrue, et surtout, une politique sur les produits chimiques qui ne mette pas en balance la santé et les profits.

FAQ sur l'omnibus sur les produits chimiques

  • 🔍 Pourquoi l’Union européenne allège-t-elle certaines règles sur les produits chimiques ? L’objectif est double : soutenir l’industrie européenne (qui subit une forte concurrence internationale et des coûts réglementaires élevés) sans compromettre la sécurité des consommateurs. Ces simplifications permettent aux entreprises d’être plus agiles, tout en maintenant les exigences essentielles en matière de santé publique.
  • 🗓️ Ces changements sont-ils déjà en vigueur ? Pas encore ! Le texte a été présenté le 8 juillet 2025 par la Commission européenne, mais il doit encore être adopté par le Parlement et le Conseil. Si tout va bien, certaines mesures pourraient entrer en vigueur dès 2026, avec des périodes transitoires prévues pour éviter un chaos réglementaire.
  • 🧼 Est-ce que les cosmétiques contenant des substances CMR seront autorisés ? Non. Le texte ne rend pas leur usage automatique. Il instaure juste un cadre clair de dérogation, très encadré, pour les cas exceptionnels où l’exposition est jugée négligeable, ou lorsqu’il n’y a pas d’alternative techniquement viable. Cela concerne surtout certains conservateurs ou filtres UV déjà largement utilisés.
  • Mon flacon de détergent va-t-il perdre toutes ses infos importantes ? Pas du tout. L’Omnibus vise à rendre les étiquettes plus lisibles et moins chargées, sans retirer d’informations essentielles. Certaines données seront simplement accessibles via un lien ou un QR code, pour éviter les emballages surchargés de pictos illisibles.
  • Pourquoi des exceptions pour l’armée ? Parce que certaines substances interdites pour le grand public restent indispensables pour la défense ou la sécurité nationale (ex. : carburants spéciaux, munitions, équipements). L’idée, c’est de ne pas bloquer la chaîne logistique militaire tout en gardant une traçabilité.
  • 📉 Est-ce que ces changements vont affaiblir la législation européenne sur les produits chimiques ? C’est l’inquiétude de certaines ONG. Mais la Commission jure que non : il s’agit de simplification, pas de dérégulation. Le socle des grandes protections (REACH, CLP…) reste intact. Toutefois, il faudra rester vigilant lors de la révision complète du REACH prévue fin 2025.
  • 🌍 Et pour les produits importés ? Les règles d’étiquetage et de publicité s’appliqueront aussi aux produits importés dans l’UE. Mais comme les exigences seront plus simples, les entreprises hors UE auront aussi moins de mal à s’y conformer.
  • 💶 Combien l’industrie va-t-elle économiser avec ce plan ? Selon la Commission européenne, les entreprises pourraient économiser jusqu’à 363 millions d’euros par an, principalement grâce à la simplification des étiquettes, la digitalisation des infos, et des procédures plus rapides pour certains produits cosmétiques.
  • Et les ONG, elles en pensent quoi ? Certaines s’inquiètent d’un glissement discret vers la déréglementation, surtout si les dérogations deviennent trop faciles à obtenir. Elles demandent plus de transparence dans les critères et une réelle évaluation d’impact environnemental. Affaire à suivre…

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