Climat : un avis historique de la CIJ sur le changement climatique Lecture : 13 min
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Climat : un avis historique de la CIJ sur le changement climatique

La Cour internationale de justice (CIJ) a frappé un grand coup ce 23 juillet 2025. Dans un avis consultatif historique rendu à La Haye, la plus haute juridiction de l’ONU déclare sans détour que le changement climatique constitue « une menace urgente et existentielle » pour l’humanité et la planète. Cette déclaration, inédite à ce niveau de justice internationale, marque un tournant symbolique et juridique majeur dans la lutte contre le réchauffement climatique mondiale : c’est la première fois que le dérèglement du climat est explicitement reconnu comme un péril de cette ampleur par la CIJ. Il était temps, diront certains, tant les signaux d’alarme climatiques se multiplient (records de chaleur, sécheresses et inondations catastrophiques en série…). Désormais, même les juges en robe noire sonnent l’alerte : la crise climatique n’est plus seulement l’affaire des scientifiques et des militants, elle devient aussi celle du droit international. La justice mondiale fixe enfin les règles du jeu pour les États !

Une décision juridique mondiale sans précédent

Mercredi 23 juillet, à 15 heures, dans le vénérable Palais de la Paix à La Haye, le juge Yuji Iwasawa, président en exercice de la CIJ, a entamé la lecture publique d’un avis consultatif de plusieurs centaines de pages, attendu fébrilement aux quatre coins du globe.

« Les conséquences des changements climatiques sont graves et profondes. Elles affectent tant les écosystèmes naturels que les populations humaines. Ces conséquences mettent en évidence la menace urgente et existentielle que représente le changement climatique », a-t-il déclaré solennellement devant l’assemblée.

Ce moment, qualifié déjà d’historique, consacre l’entrée du climat dans le champ du droit international de manière formelle et puissante.

Il faut préciser que l’avis de la CIJ est consultatif et non contraignant : il ne crée pas directement d’obligations juridiquement exécutoires. Toutefois, venant de la plus haute cour des Nations unies, ce texte porte une autorité morale et juridique considérable. Il établit une interprétation solide du droit international sur laquelle pourront s’appuyer les législateurs, avocats et juges du monde entier pour les actions et décisions futures. En clair, même sans force obligatoire, cet avis pourrait bien servir de boussole juridique et de jurisprudence de référence dans les procès climatiques à venir, qu’ils soient nationaux ou internationaux. Un État victime du réchauffement pourrait, par exemple, s’appuyer sur cet avis pour poursuivre un pays ou une entreprise fortement pollueur/se devant un tribunal, en arguant du manquement à ses obligations climatiques. Les juges de la CIJ viennent ainsi de donner du poids aux notions de justice climatique et de responsabilité des États face à l’urgence environnementale.

Qui est à l’initiative de cet avis ?

Cette avancée juridique ne sort pas de nulle part. Elle est le fruit d’une véritable saga diplomatique et militante entamée il y a quelques années.

Qui a demandé à la CIJ de se prononcer sur le climat ? À l’origine, il s’agit d’une initiative venue du bout du monde, de jeunes citoyens du Vanuatu, un petit État insulaire du Pacifique particulièrement vulnérable à la montée des eaux. En 2019, des étudiants de l’Université du Pacifique Sud, indignés par l’inaction face aux changements climatiques, ont lancé une campagne pour saisir la CIJ. Le gouvernement du Vanuatu a embrayé, soutenu par d’autres nations insulaires menacées, et a porté la demande devant l’Assemblée générale de l’ONU. En 2023, l’ONU a adopté à l’unanimité une résolution sollicitant officiellement l’avis de la CIJ sur les obligations des États en matière climatique. C’était un peu le combat de David contre Goliath : les petits États vulnérables osant interpeller les grandes puissances pollueuses sur la scène judiciaire internationale.

Où et quand cette bataille s’est-elle jouée ? Principalement à La Haye, siège de la CIJ, lors d’audiences hors normes organisées en décembre 2024. Pas moins de 120 pays et groupes y ont pris la parole pendant plusieurs jours. Du jamais vu dans l’histoire de la Cour ! Des États de tous les continents, des ONG, des scientifiques, chacun est venu plaider sa cause ou exposer sa position sur ce que doit être la responsabilité climatique des nations.

Côté coulisses, l’atmosphère était électrique : d’un côté, la coalition des États en première ligne (Vanuatu, îles du Pacifique, pays africains…) réclamant la reconnaissance de leurs droits et des actions concrètes ; de l’autre, les représentants des grands émetteurs de CO₂ (États-Unis, Chine, Inde, Union européenne…) soucieux de ne pas voir leurs obligations alourdies par un avis juridique potentiellement contraignant moralement.

De quelles obligations parle-t-on ?

La Cour a été chargée de répondre précisément à deux questions juridiques clés posées par l’Assemblée générale de l’ONU.

Premièrementquelles obligations incombe-t-il aux États, en vertu du droit international, pour protéger le climat de la Terre et les générations présentes et futures des émissions de gaz à effet de serre ? En d’autres termes, le droit international impose-t-il déjà aux pays d’agir fermement pour limiter la pollution carbone ? 

Deuxièmementquelles conséquences juridiques entraînent le non-respect de ces obligations par un État dont les émissions ont causé des dommages climatiques, en particulier envers des États insulaires de faible altitude, très vulnérables ? Cette dernière question touche au cœur du débat sur la “responsabilité historique” des plus gros pollueurs : un État industrialisé peut-il être tenu de rendre des comptes, voire de réparer, pour les préjudices climatiques subis par d’autres nations plus petites et moins émettrices ?

L’avis détaillé de la CIJ, tel qu’on le comprend à travers le discours du juge Iwasawa et les éléments communiqués, clarifie et renforce les devoirs juridiques des États. Il rappelle notamment que les États ont l’obligation, déjà inscrite dans divers traités et dans le droit international coutumier, de prévenir des dommages environnementaux significatifs au-delà de leurs frontières. En creux, cela signifie qu’aucun pays ne peut impunément laisser ses émissions de CO₂ détruire le climat global sans violer ses obligations internationales.

Consultez l'avis consultatif : obligations des Etats en matière de changement climatique

Ce cadre juridique mondial vient épauler les accords existants, comme l’Accord de Paris de 2015, qui fixe la limite de +2 °C (voire +1,5 °C) de réchauffement à ne pas dépasser. Or, nous le savons, les promesses actuelles ne suffisent pas : la Terre s’est déjà réchauffée d’environ +1,3 °C par rapport à l’ère préindustrielle et l’on frôle même un dépassement du seuil de +1,5 °C sur une année entière selon les données européennes de Copernicus. Face à cette réalité, la CIJ vient appuyer l’idée qu’attendre n’est plus une option et que le droit doit évoluer pour contraindre l’action climatique.

🔢 Quelques chiffres pour mieux comprendre l'urgence climatique

  • 🌡️ +1,3°C : c’est l’augmentation moyenne de la température mondiale depuis l’ère préindustrielle (source : Copernicus, juillet 2024).
  • 🚨 +1,5°C : seuil critique fixé par l’Accord de Paris pour limiter les effets irréversibles du changement climatique.
  • 🔥 +2°C et plus : selon le GIEC, cela entraînerait des impacts catastrophiques pour les écosystèmes, la sécurité alimentaire, la santé humaine et la stabilité géopolitique.
  • 2020–2030 : décennie décisive. Les scientifiques estiment que nous pourrions franchir les +1,5°C dès le début des années 2030 si rien ne change.

👉 L’avis de la CIJ intervient dans ce contexte alarmant, soulignant le rôle du droit international pour freiner une trajectoire devenue intenable.

Petits États vs grandes puissances : le bras de fer climatique

Tout au long de la procédure, un vif contraste est apparu entre d’une part les petits pays en développement, souvent en première ligne des impacts climatiques, et d’autre part les économies avancées fortement émettrices. À La Haye, ce fut littéralement un débat de David contre Goliath où chacun a fait valoir ses arguments.

Les grandes puissances polluantes (États-Unis, Inde, Chine), mais aussi certains pays du Golfe ou même l’Australie, ont mis en garde la Cour. Elles ont défendu bec et ongles les négociations politiques internationales existantes (les fameuses conférences annuelles COP sous l’égide de l’ONU) en soulignant leurs progrès, insuffisants certes mais bien réels. Leur message sous-jacent à la CIJ ? Ne venez pas compliquer la donne avec un avis juridique qui pourrait ouvrir la porte à une cascade de procès et de demandes de réparation. D’ailleurs, les États-Unis ont rappelé qu’ils s’étaient même retirés un temps de l’Accord de Paris sous l’administration Trump, signe de leurs réticences face à toute contrainte internationale trop forte.

En face, les petits États insulaires et pays du Sud ont élevé la voix pour réclamer justice climatique. Ils estiment que les pollueurs historiques (pays riches industrialisés) doivent assumer la responsabilité des dégâts climatiques. Cela inclut potentiellement le paiement de réparations ou de compensations financières pour les pertes et dommages subis.

« Le principe cardinal est clair comme de l’eau de roche : les États responsables sont tenus de réparer intégralement le préjudice qu’ils ont causé », a martelé Margaretha Wewerinke-Singh, juriste représentant le Vanuatu, pendant les audiences.

Des voix comme celle d’Eselealofa Apinelu, du Tuvalu, ont rappelé l’injustice criante de la situation : « Bien que responsable de moins de 0,01 % des émissions mondiales, sur la trajectoire actuelle, Tuvalu disparaîtra complètement sous les vagues qui clapotent sur nos côtes depuis des millénaires », a-t-elle témoigné, soulignant que son pays est condamné par la montée des eaux provoquée par d’autres.

Ces témoignages poignants ont mis les juges face à la réalité humaine du changement climatique, bien loin des seules courbes de CO₂.

Quel impact pour l’avenir de la lutte climatique ?

Concrètement, que va changer cet avis de la CIJ ? D’un point de vue strictement légal, rappelons-le, il ne crée pas de loi contraignante immédiate. Mais son impact potentiel réside dans son autorité morale et sa valeur de référence. Désormais, les militants et gouvernements disposant d’une volonté d’agir peuvent s’appuyer sur ce texte pour faire pression sur les grands émetteurs lors des négociations internationales. On peut s’attendre à ce que lors des prochaines conférences climatiques (COP), les pays vulnérables brandissent l’avis de la CIJ comme un étendard pour exiger davantage d’actions, de financements et de comptes à rendre de la part des pays riches. L’avis pourrait également influencer les législations nationales : un État pourrait décider de renforcer ses lois climat pour se conformer à ce que la CIJ estime être ses obligations internationales, par exemple en accélérant la sortie des énergies fossiles.

Par ailleurs, sur le terrain judiciaire, cet avis ouvre la voie à de nouvelles procédures. Des communautés affectées par le climat ou des ONG pourraient initier des procès contre des gouvernements ou des entreprises polluantes, en invoquant l’avis de la CIJ comme base juridique. Un peu partout, la jurisprudence climatique est en mouvement : on a vu récemment des tribunaux nationaux condamner leur propre État (comme aux Pays-Bas avec l’affaire Urgenda, ou en France avec “l’Affaire du Siècle”) pour inaction climatique. L’orientation donnée par la CIJ ne fera que conforter ces juges dans l’idée que le droit impose d’agir pour le climat. Comme l’a souligné Andrew Raine, juriste au Programme des Nations unies pour l’environnement, de tels avis aident à clarifier comment le droit international s’applique à la crise climatique, avec des répercussions sur les tribunaux nationaux, les lois et le débat public.

Enfin, il faut mesurer l’énorme portée symbolique de cette décision. Longtemps, le changement climatique est resté relégué au domaine scientifique ou traité comme un sujet politique parmi d’autres, parfois avec scepticisme ou indifférence. Le voir reconnu explicitement comme une menace existentielle par un aréopage de juges internationaux, c’est entériner que la survie de nations entières et de millions de personnes est en jeu. Cela envoie un signal clair : l’urgence climatique est l’affaire de tous, y compris de la justice. Dans les rues de La Haye, une centaine de manifestants rassemblés devant la Cour l’ont bien résumé avec une banderole éloquente : « Les tribunaux ont parlé, les gouvernements doivent agir maintenant ». Autrement dit, la balle est désormais dans le camp des dirigeants : armés de cet avis historique, plus aucune excuse ne tient pour ne pas passer des paroles aux actes.

Cet avis de la CIJ ne refroidira pas la planète du jour au lendemain, il n’en a pas le pouvoir direct. Mais il change le narratif et offre un outil inédit à tous ceux qui luttent pour un avenir vivable.

« Je pense que cela peut réellement changer la donne dans le débat climatique actuel », a confié Ralph Regenvanu, ministre du climat du Vanuatu, qui porte cette initiative depuis le début.

Après trente ans de discussions souvent infructueuses, ce petit archipel et ses alliés ont réussi à faire entendre leur voix jusqu’au sommet du droit international. Le climat, désormais, n’est plus seulement un enjeu scientifique ou diplomatique : c’est un enjeu de justice planétaire.

 

❓ Foire aux questions (FAQ) : comprendre l’impact de l’avis de la CIJ sur le changement climatique

🌍 L’avis de la CIJ est-il contraignant pour les États ?

Non, cet avis est consultatif, donc non juridiquement contraignant. Mais il a une valeur morale et symbolique puissante : les juges de la Cour internationale de justice ont établi un cadre juridique qui pourrait être utilisé comme référence par les tribunaux nationaux ou dans les négociations climatiques internationales.

⚖️ Est-ce que cela change quelque chose pour les procès climatiques ?

Oui, potentiellement. Cet avis pourrait renforcer les arguments des citoyens, ONG ou États dans des actions en justice contre des gouvernements ou des entreprises polluantes. Il peut aussi inciter certains juges à adopter une interprétation plus stricte du devoir d’agir pour le climat.

🌡️ Que dit exactement la CIJ sur les obligations des États ?

La CIJ rappelle que les États ont l’obligation de prévenir des dommages environnementaux transfrontaliers, en vertu du droit international existant. Elle souligne aussi que les États doivent agir pour protéger les droits des générations futures.

💰 Peut-on désormais demander des réparations aux pays pollueurs ?

L’avis ouvre la voie à ce type de revendication. Les États vulnérables, en particulier ceux qui subissent déjà les effets du changement climatique (montée des eaux, sécheresses…), peuvent s’appuyer sur cet avis pour réclamer des compensations ou faire pression pour obtenir un fonds international de réparation.

🌱 Est-ce que ça peut influencer les politiques climatiques françaises ?

Indirectement, oui. La France, comme les autres États, peut être poussée à renforcer ses engagements climatiques (objectifs de réduction d’émissions, lois environnementales…) pour éviter d’être perçue comme en infraction morale vis-à-vis du droit international. Cela pourrait aussi nourrir les débats parlementaires et citoyens sur la justice climatique.

🧭 Et maintenant, que peut-on attendre ?

L’avis de la CIJ pourrait être utilisé comme levier diplomatique dans les prochaines conférences climatiques internationales (comme la COP). Il fournit aussi un outil juridique précieux pour toutes les actions futures en faveur du climat. Bref, c’est un point d’appui stratégique pour accélérer la transition écologique… si les États choisissent de s’en saisir.

 


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